L’Ape musicale

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Guerre et Societé de Prokofiev

par Susanne Krekel

Munich, le 12 mars 2023 -  La situation est complexe: un roman écrit entre 1863 et 1869 qui raconte l’invasion de la Russie par les troupes napoléoniennes en 1812, mis en musique en à partir de 1941, lorsque la Russie est envahie par les troupes allemandes, mis en scène en Allemagne à un moment où les troupes russes ont envahi l’Ukraine. Comment donc mettre en scène tout cela?

Dmitri Tcherniakov situe l’action entière dans une grande salle grandiose, toute en jaune et blanc, colonnes et lustres compris. Ces lustres et la lumière qui en émane seront un élément clé de la scénographie: ils seront entourés de bandes noires pour les scènes de guerre, des lumières dorées ou tamisées vont créer les ambiances diverses de la pièce.

Tout commence par un moment de silence dans le noir, pas d’applaudissements pour accueillir le chef d’orchestre. Le rideau se lève, nous découvrons la grande salle peuplée de personnages divers, dans une espèce de campement, matelas par terre, sacs, valises… Le bâton se lève, les flutes commencent à chanter le printemps, un homme se lève, enlève son écharpe, sa parka et commence à chanter le printemps lui aussi, et son amour pour une fille. Il s’agit du prince Andrej Bolkonski, chanté et joué merveilleusement par Andrei Zhilikovsky. Il est épris de Natascha Rostowa, interprétée par Olga Kulchynska, magnifique elle aussi. On aurait aimé des costumes un peu plus distinctifs, car tout le monde est en habit de ville contemporain. Si cela souligne le caractère intemporel de l’histoire, cela n’aide pas pour d’identifier les personnages clé parmi la foule, et donc de suivre l’histoire. Nous comprenons cependant que Natascha et Andrej vont se fiancer malgré les réticences de son père à lui, que lors d’un bal chez le Comte et la Comtesse Besuchow elle va faire la connaissance d’un certain Anatol Kuragin, avec qui elle voudrait s’enfuir. La fuite n’aura pas lieu, et Besuchow apprendra à Natasche que Kuragin est déjà marié, et qui lui-même est amoureux d’elle. Tous ces dilemmes ne seront pas résolus : la guerre arrive et la vie de du beau monde de Moscou prend une tournure bien différente. Arsen Soghomonyan est magnifique dans le rôle de Pierre Besuchow, mari malheureux d’une femme dissipée (Victoria Karkacheva) et Bekhzod Davronov est fort crédible dans le rôle de l’insouciant Anatol Kuragin, cousin lointain du George Wickham de Jane Austen.

Si les costumes et la scénographie sont quelque peu équivoques, la musique pallie en beauté ce manque. Chaque mot, chaque scène est illustré de manière quasi cinématographique, et Vladimir Jurowski guide le Bayerische Staatsorchester, le Bayerische Staatsopernchor, un choeur supplémentaire et une distribution d’environ 50 personnes avec une énergie formidable, attentif au moindre détail, le geste élégant et sûr. Est-ce que la fosse est trop petite pour tout le monde, est-ce pour avoir une meilleure vue de la scène, toujours est-il qu’il dirige depuis la premier rang du parquet, et que nous avons, pour une fois, la possibilité d’observer le travail du chef d’orchestre.

Une histoire d’amour donc, une histoire de société où la possibilité d’une invasion par les troupes françaises sous Napoléon est évoquée comme une idée abstraite lointaine, dans une société qu’on imagine somme toute assez francophile et orienté vers la culture occidentale. Pourquoi le titre „Guerre et Paix” nous nous demandons, „Guerre et Société” ne serait pas plus adapté? En effet, nous apprendrons plus tard avec surprise que l’orthographe utilisé par Tolstoi pour le mot russe „mir” signifiait plutôt „société, communauté, monde” que „paix” dans le sens de l’absence de guerre.

C’est la deuxième partie du spectacle qui va nous montrer la guerre. Le choeur annonce que la France a envahi la Russie, et nous allons assister à des scènes diverses de cette guerre : viols, pillages, des prisonniers de guerre incapables de marcher froidement abattus, les notions de bien et mal qui se diluent lentement. Les choeurs sont impressionnants, chants patriotiques interprétés accompagnés de mouvements d’arts martiaux, ils donnent une idée de l’influence que pouvaient avoir de tels moments sur la montée des régimes totalitaires. De nouveau, l’absence d’uniformes fait que nous nous perdons parfois entre amis et ennemis - mais oui, bien sûr, ce sont tous des humains. Il y a une exception cependant : Napoléon est affublé d’un habit coloré, pantalon rouge, veste bleue, vaguement militaire. Parmi tous les personnages, il est le seul à porter des couleurs éclatantes. Il pourrait sortir tout droit d’un „Tintin”, ce général d’opérette, et Tómas Tómasson le joue de cette manière, avec des gestes exagérés et une voix de tonnerre. Face à lui, dans le camp russe, il y a le général Kutusow, vêtu d’un uniforme usé, les bretelles pendantes, un vrai soldat peu soucieux de son apparence, contrairement à son adversaire. Dmitry Ulyanov l’interprète avec une présence scénique et une voix formidable.

Comme dans un roman, on passe d’un camp à l’autre, d’une scène à l’autre, cela se suit, s’enchaîne, la musique, que ce soient scènes durchkomponiert, airs, passages instrumentaux, tout exprime, illustre, souligne magnifiquement chaque propos, entre opéra et musique de film, et on suit, fasciné.

Finalement, les fiancés du début se retrouvent, Andrej est blessé à mort, Natascha va assister à son agonie, ils se disent adieu dans un duo magnifique et tragique. Moscou a été mis à sac et finalement incendié, les troupes françaises sont battues, et c’est la fin.

Des tonnerres d’applaudissements pour une distribution magnifique, un orchestre fabuleux et son chef admirable, et on sort, un peu étourdi par tant de musique grandiose et la tête pleine de questions. Merci à tous pour une soirée riche et pleine d’inspirations!


 

 

 
 
 

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