Tous au Cheval blanc!
par Susanne Krekel
Im Weissen Rössl, opérette de Ralph Benatzky, en version sing-along, au Gärtnerplatztheater, Munich, le 23 novembre 2024
Dans les pays germanophones, certaines mélodies du singspiel Im weissen Rössl sont des tubes, surtout grâce à un film de 1960 où le chanteur et acteur autrichien Peter Alexander joue le rôle principal. Ce film a beaucoup influencé la perception de l’œuvre entière, laissant le souvenir d’une chose doucereuse et kitsch, et négligeant complètement l’humour caustique berlinois qui se moque d’un côté de l’engouement de la bonne société pour le tourisme alpin, et de l’autre côté de la nostalgie autrichienne pour son empire perdu, et - déjà! - de l’avidité de la toute jeune industrie du tourisme. Depuis la découverte des partitions originales, bien plus proches de la scène musicale berlinoise des années 1920, le «Rössl» est à nouveau au programme des théâtres allemands, dans une version plus rapide, où se côtoient jazz, musique populaire bavaroise et autrichienne, chanson de variété - tout cela entrecoupé de numéros de danse de revue. Avec des textes parlés remis au goût du jour, une mise en scène adéquate, cela peut être fort divertissant, comme le démontre notre soirée au Gärtnerplatztheater.
La trame de l’histoire est des plus simples : dans une auberge du Salzkammergut, région emblématique du tourisme en Autriche, trois couples vont se trouver après les malentendus habituels. Il s’agit de la patronne de l’auberge «Weisses Rössl», («Cheval Blanc»), Josepha Vogelhuber et Leopold Brandmeyer, son serveur principal. Lui est amoureux d’elle, alors qu’elle en pince pour l’avocat Dr. Siedler, fidèle client habitué. Celui-ci, en revanche, tombe dès son arrivée amoureux d’Ottilie, la fille du fabricant de sous-vêtements Wilhelm Giesecke. Giesecke voudrait marier Ottilie à Sigismund Sülzheimer, fils d’un partenaire en affaires. Sigismund arrive et tombe instantanément amoureux de Klärchen, la fille du Prof. Dr. Heinzelmann….
En plus de ces protagonistes, on rencontrera aussi l’empereur autrichien Franz Josef I et son valet, le personnel de l’auberge, et une foule de personnages secondaires. Dans la mise en scène pleine de surprises de Josef E. Köpplinger, tout ce monde-là va se côtoyer en chantant et en dansant. Les décors, ainsi que les merveilleux costumes, signés Rainer Sinell, sont simple et fort efficaces : nous voyons à droite la façade de l’auberge et son balcon. L’arrière-plan est occupé par une grande peinture d’une montagne, dans un cadre illuminé et légèrement de travers, ainsi que par un décor de vagues. Cet arrière-plan sera habité par : un groupe de sportifs en maillot à rayures, un groupe de paysans en culotte de cuir, des personnages en bateau, un chasseur en costume traditionnel, barbe hirsute et fusil au dos, qui traîne son teckel en carton sur des roues grinçantes, poursuivant la jolie postière on ne sait pas pourquoi… Cela bouge, cela chante, cela scintille, on ne s’ennuie pas une seconde. Une scène d’amour sera accompagnée par des espèces d’Amourettes en costumes bleus, brodés d’Edelweiss, une parodie du costume traditionnel, coiffées de perruques blanches légères, qui ressemblent aux anges de Noël - et qui vont danser un Charleston endiablé. Ce sont de tels contrastes qui font le charme de cette mise en scène ; les excellents chanteurs et chanteuses ainsi que les danseurs et extras, unissent légèreté et excellence artistique. L’orchestre du Staatstheater am Gärtnerplatz, guidé ce soir par Andreas Partilla, semble s’amuser aussi avec cette partition si variée - et parfois on soupçonne les musiciens d’éprouver un malin plaisir quand une accélération du tempo laisse derrière le public chantant.
Sigrid Hauser et Daniel Prohaska, qui maitrisent à merveille le dialecte autrichien, campent un couple Josefa - Leopold des plus convaincants, leurs interventions parlées sont aussi charmants que les parties chantées. Admirable Anna Overbeck dans le rôle de Klärchen, tout comme Erwin Windegger qui présente une intervention de yodel dans la partie de Wilhelm Giesecke. Ludwig Mittelhammer est un Dr Otto Siedler charmant et sérieux, charmante aussi Andreja Zidaric dans le rôle d’Ottilie.
Cette production a vu sa première en 2012, et depuis, le Gärtnerplatztheater propose chaque année une soirée où la participation du public est non seulement tolérée mais activement souhaitée : en arrivant, chaque personne reçoit un kit de participation qui contient un drapeau autrichien, à brandir lors de l’entrée l’empereur, un cœur rouge qui doit accompagner les scènes d’amour, un sachet de bretzels à grignoter lorsqu’un groupe de voyageurs cherche à prendre son petit-déjeuner, une clochette pour saluer une vache, un mouchoir à agiter lors des entrées du beau Sigismund et finalement un bonnet de bain pour se protéger de l’averse à la conclusion de l’acte I. Les bruissements constants occasionnés par la recherche constante d’objets dans des sachets de papier rendent parfois des parties de texte incompréhensibles - mais la vue d’une salle entière couverte de bonnets de douche a un charme assez insolite. Certain.es portent le costume traditionnel, un monsieur garde son chapeau et se lève même à l’entrée de l’empereur ; d’autres s’imaginent que sing-along veut dire parle-along, et que leurs voisins apprécieront leur apport aussi aux morceaux prévus pour les pros… Si ce concept brise - pour une soirée au moins - les codes de la bienséance au théâtre, il rend la pleine appréciation du travail des artistes sur scène un peu plus difficile, cependant l’observation du public ajoute une dimension supplémentaire à la soirée.
Une soirée divertissante et intéressante en somme, bravi tutti!